…le précieux objet a violemment heurté le trottoir brûlant et ainsi rejoint une multitude de noyaux d’abricots recrachés et desséchés qui serviront plus tard dans la journée même ou peut-être demain de billes aux enfants du quartier...mais plus tard quand même il tombera, le moment venu et subi, dans les cartons de la « retirada » des pieds-noirs, qui a d’ailleurs déjà commencé à leur insu...Une des choses les plus difficiles qui puisse arriver à un enfant est de naître en temps de guerre, je parle en connaissance de cause sinon je me tairais…
… La bile noire, une fois le soleil et la mer confisqués, est désormais réactivée ; elle empoisonne maintenant les poumons vulnérables. On sait que les mercenaires suisses, dans les temps anciens, parce que restés trop longtemps éloignés par nécessité pécuniaire de leur patrie d’origine, souffraient eux aussi de la tuberculose, de nostalgies complexes et de dépressions irrésistibles…rendu troué et caverneux par la maladie, loin de l’affaiblir, cette dernière permettrait très tôt à l’enfant d’ouvrir son imaginaire à des châteaux et des empires à conquérir… La primauté d’un corps en souffrance sur l’esprit n’est plus à démontrer tant il peut entraver la pensée par la nuisance des organes, pourtant dans certains cas extrêmes tout ce magma en arrivera à se muer en surprenante vanité, surtout si une légère douleur subsiste après coup. « La maladie aussi, ou peut-être premièrement, participe de ce dénuement. « La santé, le bonheur » sont des « œillères », a-t-on dit ; « la maladie rend enfin lucide ». (Une seconde vie : François Jullien - biblio essais
Grasset 2017 p.87)