Hommage à P. PAGNEY 1919-2017 L’incertitude climatique et la guerre: (Paris, Ed. L’harmattan 2016) - augmenté et actualisé d'après l'article de M. Maxence Michelet dans Expressions : Les armées peuvent-elles relever le défi du changement climatique ? (01/12/2023)
Victor Hugo:
« Retournons en arrière… S’il n’avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l’avenir de l’Europe était changé. Quelques gouttes d’eau de plus ou de moins ont fait pencher Napoléon. Pour que Waterloo fût la fin d’Austerlitz, la providence n’a eu besoin que d’un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel à contre-sens de la saison a suffi pour l’écroulement d’un monde. » - Les Misérables Partie 2 Cosette Livre 1 Waterloo
Données du problème :
Depuis les travaux du Professeur Pierre Pagney, les règles de la guerre qui incluaient la décision politique, sa réflexion stratégique, son exécution tactique et la logistique se sont enrichies : il faut y ajouter l’incertitude climatique « Au sens général du terme, ancien pour l’incertitude… récent pour le mot climatique, l’expression prend en compte une donnée qui ne peut plus demeurer la moins considérée de la guerre, la prévision météorologique » (Préface de Jean-Pierre BOIS). Pierre Pagney, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet dont Les climats, la bataille et la guerre Paris, édit. l’Harmattan 2008 et Les guerres de partisans et les nouveaux conflits Paris, édit. Economica 2013 anticipait ainsi les bouleversements en cours :
« Au moment où les technologies les plus performantes semblent assurer à l’homme un avenir fait de certitude, il convient de rappeler que la nature et les sociétés comportent des incertitudes que le génie humain ne résoudra jamais. Le climat impose, par sa variabilité, des incertitudes que, aussi perfectionnés qu’ils soient, les modèles ne réussiront pas à maitriser complètement » (extrait de la 4°de couverture).
L’ouvrage s’intitule L’incertitude climatique et la guerre. Il apparait comme le véritable prolongement de celui de 2008 en ce sens que la question relative au changement climatique n’y avait, semble-t-il, pas été abordée.
L’auteur s’y montre têtu ; le climat est un facteur essentiel et actuel qui peut également peser sur la vision stratégique du présent et du futur à travers la question de son réchauffement. Or, les climats ont pour milieu l’atmosphère et celui-ci est chaotique et peut modifier profondément l’environnement auquel le tacticien et le stratège sont confrontés. Dès lors les technologies et l’accumulation d’informations n'effacent pas l’incertitude, ce qui revient à considérer que les chefs doivent composer avec elle, au moins en partie.
Quelques subtilités et exemples historiques :
L’auteur rappelle d’emblée fort à propos que si la prévision météorologique, qui s’intéresse au temps court qu’il fera dans un avenir proche et qui concerne surtout la tactique est peu ou prou relativement maitrisée, on reste beaucoup plus perplexe quand il s’agit du climat qui, pour sa part, intéresse au premier chef le domaine de la stratégie.
« Si l’on a aujourd’hui une bonne maîtrise du temps à venir dans les jours suivants ou dans la semaine suivante (prévision météorologique), on est beaucoup plus dans l’expectative dès lors qu’il s’agit de définir les climats futurs et, à tout le moins, leurs vicissitudes….Ce constat est important si l’on convient, comme ce fut le cas dans Le climat, la bataille et la guerre que le temps météorologique, assorti de l’espace restreint, est celui de la tactique et que le temps climatique, assorti des vastes espaces géographiques, est plutôt celui de la stratégie et à plus forte raison, de la géostratégie….On conviendra, mais il s’agit d’une position toute personnelle, que le temps climatique commence là où la prévision météorologique devient impossible. » (pp.19 et 20).
Comment ne pas penser ici à la subtile distinction entre complication et complexité. La première peut sans doute créer des difficultés mais qui seront somme toute surmontables, alors que la seconde n’évite ni l’élément de hasard ni l’absence de fiabilité qui font son caractère propre, son originalité essentielle.
Partant, on retiendra que, tant les décisions désastreuses comme par exemple l’affaire du Chemin des Dames en 1917 ou encore l’Opération Barbarossa en 1941, que les décisions risquées mais finalement heureuses telles le débarquement du 6 juin 1944, l’attaque hivernale de De Lattre de Tassigny en 1944 ou encore la décision nippo-américaine de se mesurer dans le Pacifique sont toutes marquées du sceau de l’incertitude climatique.
Le réchauffement climatique :
Ceci étant posé, le réchauffement climatique est bien, lui, devenu une certitude. Mais qui dit réchauffement climatique ne dirait pas forcément changement climatique à l’échelle globale.
Dès lors, dans une perspective militaire, l’auteur considère deux cas de figures :
- S’agissant de l’Arctique, son réchauffement ne devrait pas révolutionner les grandes routes maritimes du globe et ne devrait pas non plus modifier fondamentalement les caractéristiques des affrontements militaires. Seul facteur incontournable, le raccourcissement des distances séparant les deux grandes nations de la région : les USA et la Russie. Ainsi, dans ce milieu maritime toujours hostile, les mouvements de forces nucléaires resteraient ils pertinents.
- S’agissant de l’Arc de crise saharo arabique et si l’on prend en compte le temps long, on constate que c’est surtout la parcellisation ethnique, tribale, linguistique et religieuse qui a induit des affrontements que la colonisation a estompé mais sans les effacer.
Au Moyen-Orient, il faut donc superposer cet état de fait aux découpages territoriaux dont l’Occident est responsable.
En Afrique, le grand facteur de déstabilisation a été l’esclavage entre africains victimes de la traite et africains responsables par rabattage mais, là aussi, les découpages arbitraires de certains états ont provoqué des situations inextricables de certaines ethnies rivales se retrouvant sur le même territoire.
A ces facteurs de déstabilisation historiques anciens et récents il faut donc aussi ajouter le spectre des risques liés au réchauffement climatique tant du fait des répartitions inégales des ressources en eau que de conditions climatiques souvent excessives par abondance ou indigence pluviale.
On pourra en conclure que dans l’arc saharo arabique, les tensions risquent donc de s’aggraver autour de l’eau même si on l’a vu la crise régionale ne relève pas majoritairement du stress climatique.
Dès lors la problématique du réchauffement n’impacterait pas de façon prégnante l’occident sauf peut-être à considérer l’afflux de migrants venus des pays secs mais sans qu’on puisse, là encore, à proprement parler de réfugiés climatiques.
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Discussion : Comment le réchauffement climatique impacte l’Occident ?
L’auteur a donc raison quand, s’agissant du climat complexe, de la stratégie et de la géostratégie, c’est la perplexité qui demeure. En effet, ce ne serait que ces toutes dernières années que l’impact des changements climatiques sur les armées (Institut Montaigne - Maxence Michelet : les armées peuvent-elles relever le défi du changement climatique ?) commencerait seulement à être pris en compte au regard des enjeux considérables qu’on lui reconnaît.
Ainsi, disposer d’une armée « climato-résiliente » pourrait devenir un avantage stratégique qui reste à anticiper et à adapter au regard de deux enjeux majeurs :
Défi technologique d’abord pour les équipements militaires actuels qu’ils soient aéroportés, maritimes et humains, du fait notamment de la hausse des températures et de l’intensification des ouragans au point que l’efficacité des armées à travers le monde pourrait dépendre de leur capacité à innover.
Défi organisationnel, logistique et politique ensuite dans le choix qui sera fait de recourir ou pas à de nouvelles ressources énergétiques et humaines (la réserve notamment) pour faire face tant à l'urgence des phénomènes météo-climatiques qu'à celle d’assurer pleinement une défense nationale, voire européenne.
Reste donc juste la connaissance imparfaite des effets à venir du changement climatique.
Pour autant, dans des temps de planifications financières et politiques devenus incertains, il apparaît de plus en plus clairement que ce sont bien les Etats, les grands industriels privés, les centres de recherches géopolitiques et la multiplication des échanges internationaux qui devront nécessairement coopérer à l’ajustement des armées au changement climatique.
Dans ces conditions, doit-on dès lors encore s’interroger sur le point de savoir si, en raison de la nature globale de toutes ces interactions à mener, les puissances occidentales ne sont pas déjà confrontées aux effets collatéraux du réchauffement ?