Il n'est pas si facile de réussir ses échecs ou d'apprendre à réduire son succès au strict minimum ; Surtout, s'empêcher, c'est poser une barrière éthique et démocratique face au tout ou rien qui veut effacer les mémoires. Il me semble infiniment plus désirable de jouer sans gagner que de gagner sans avoir pu jouer au moins un peu et surtout à ma manière. Je m’imagine donc bien arracher la défaite plutôt que la victoire, c’est ce qui révèle ma nature rebelle d’ainé contrarié, dépossédé. La victoire, c’est prouvé, définitif, et avec elle la gloire, sont l’antichambre de persécutions à venir... je me bats non pour conserver et accumuler mais pour être à même de quitter; c’est ce mouvement, à la fois de « pensée et de corps », qui m’éloigne définitivement de Hugo et de Rosa dont la conscience fossilisée par la soumission ne veut plus être dérangée…. Leur pseudo-différence disparaitra vite dans un même suc gastrique et seul l’écart, en apparence plus modeste mais combien plus résilient, force ravivée du maillon faible, que je creuse continuera à emprunter les pistes de l’exploration. Avoir pu les rencontrer sans avoir à les fréquenter satisfait pleinement ma curiosité de circonstance. En vérité, je ne risque ma vie qu’une fois seulement quand les deux autres périront à coup sûr au moins deux fois, du fait d’abord de leur mort cérébrale qui est en train d’être consommée et de celle qu’ils peuvent être amenés à éprouver ici, derrière ces barricades, dans un même renoncement, un même « Viva la muerte »; je refuse de me servir dans ce qui existe déjà et j’exerce en quelque sorte mon droit d’errance qui sait quand « prendre congé » car il serait lâche de ne pas larguer les amarres quand toutes les conditions sont réunies. En outre, ce serait un fardeau immense pour moi que d’essayer de m’occuper d’un succès à conserver, tant je lui préfère la discrète présence de l’influence…
Et effectivement, à bien le regarder, c'est par son étrangeté, son extériorité, son regard oblique et latéral qu’il porte sur le monde qu’Ethan sert le mieux la Démocratie et il l’exprime bien par sa liberté chaque fois occupée de considérer sans cesse toutes les options et donc toutes les différences à égalité, sans s’arrêter à une idée unique qui en dédaignerait d’autres. Il veut rester dans cet écart sans se mettre à l’écart ; dégagé mais non pas désengagé, il continue d’exister dans un ailleurs qui refuse tranquillement la dérive de la militance et de la soumission égotique. Et il y a de l’audace politique à ne pas céder à la tentation de la verticalité hiérarchique et chosifiante. Tout enlisement est réaction et totalitarisme. Et l’enlisement commence au succès. Cet inédit, sa façon d’approcher à bout touchant le rivage sans jamais vouloir s’y installer, ni même y séjourner, faisait de lui un acteur politique infiniment désirable et convoité car arbitre d’un grand jeu dont il n’était jamais partie prenante.