Nous savons déjà que "mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde " (Albert Camus), ainsi de ce "On" qui n'est personne" de V. Jankélévitch dans son Traité des vertus I. Dans le même sens nous affirmons que tolérer comme allant de soi qu'un crime soit dissimulé derrière un autre nom c'est en fait s'en rendre complice. C'est donc bien qu'il nous faut veiller à rendre son vrai nom à l'Intention initiale qui l'a engendré. Ainsi, Victor Klemperer et sa LTI (Lingua Tertii Imperii) a suffisamment démontré que certains mots sont employés à dessein pour crypter l'impensable qu'on ne peut plus cacher, mais qu'il faut désormais banaliser à tout prix; le moyen le plus efficace étant alors d'inventer une nouvelle langue, sorte de bouillie rassurante puisque s'y accouplent termes organiques et techniques destinés à remobiliser des volontés devenues inquiètes et tièdes...quelques exemples valent mieux qu'un long discours: ainsi, une démocratie simplifiée n'est rien d'autre qu'une dictature; évacuation veut dire déportation; venir chercher signifie arrêter; se déclarer équivaut à se rendre à une convocation; le répertoire des insultes et des louanges est d'une pauvreté inouïe, pire, il devient confusant (résistance fanatique par exemple, ce dernier mot ne désignait-il pas à l'origine une maladie ?); un courrier revenu avec la mention "parti sans laisser d'adresse" peut tout aussi bien vouloir dire déporté, expulsé ou mort; une armée élastique est en déroute; le mot crise cache une défaite; d'ailleurs il n'est jamais utilisé seul, on s'empresse d'y ajouter: crise maitrisée ou momentanée et enfin on liquide, comme un commerçant le ferait de son stock d'invendus périmés.
C'est l'open-bar de la langue de la forfaiture, de la réification, de la chosification, sinon ce ne serait pas audible, pas même supportable pour les propres tenants de la haine. Bon, tout le monde a compris, concluons : il n'y a en fait que peu de mots réellement nouveaux, la plupart ne le deviennent que lorsqu'ils expriment une intention nouvelle, une autre manière d'agir, une ambition pitoyable et criminelle qui devait durer... combien de temps déjà ? (merci aussi à Arte pour son Doc. Histoire de 2004)